L’analogie du temps avec l’argent est par contre fondamentale pour analyser “notre temps”, et ce que peut impliquer la grande coupure significative entre temps de travail et temps libre, coupure décisive, puisque c’est sur elle que se fondent les options fondamentales de la société de consommation. Time is money : cette devise inscrite en lettres de feu sur les machines à écrire Remington l’est aussi au fronton des usines, dans le temps asservi de la quotidienneté, dans la notion de plus en plus importante de “budget-temps”. Elle régit même — et c’est ce qui nous intéresse ici — le loisir et le temps libre. C’est encore elle qui définit le temps vide et qui s’inscrit au cadran solaire des plages sur le fronton des clubs de vacances. Le temps est une denrée rare, précieuse, soumise aux lois de la valeur d’échange. Ceci est clair pour le temps de travail, puisqu’il est vendu et acheté. Mais de plus le temps libre lui-même doit être, pour être “consommé”, directement ou indirectement acheté. Norman Mailer analyse le calcul de production opéré sur le jus d’orange, livré congelé ou liquide (en carton). Ce dernier coûte plus cher parce qu’on inclut dans le prix les deux minutes gagnées sur la préparation du produit congelé : son propre temps libre est ainsi vendu au consommateur. Et c’est logique, puisque le temps “libre” est en fait du temps “gagné”, du capital rentabilisable, de la force productive virtuelle, qu’il faut donc racheter pour en disposer.
Jean Baudrillard, La Société de consommation
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