Wednesday, July 27, 2011

Tuesday, July 19, 2011

Le Chat

Dans ma cervelle se promène
Ainsi qu'en son appartement,
Un beau chat, fort, doux et charmant,
Quand il miaule, on l'entend à peine,

Tant son timbre est tendre et discret;
Mais que sa voix s'apaise ou gronde,
Elle est toujours riche et profonde.
C'est là son charme et son secret.

Cette voix, qui perle et qui filtre
Dans mon fond le plus ténébreux,
Me remplit comme un vers nombreux
Et me réjouit comme un philtre.

Elle endort les plus cruels maux
Et contient toutes les extases;
Pour dire les plus longues phrases,
Elle n'a pas besoin de mots.

Non, il n'est pas d'archet qui morde
Sur mon cœur, parfait instrument,
Et fasse plus royalement
Chanter sa plus vibrante corde

Que ta voix, chat mystérieux,
Chat séraphique, chat étrange,
En qui tout est, comme un ange,
Aussi subtil qu'harmonieux.

Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal

Tout animal est supérieur à l'homme

Tout animal est supérieur à l'homme par ce qu'il y a en lui de divin, c'est-à-dire par l'instinct. Or, de tous les animaux, le Chat est celui chez lequel l'instinct est le plus persistant, le plus impossible à tuer. Sauvage ou domestique, il reste lui-même, obstinément, avec une sérénité absolue, et aussi rien ne peut lui faire perdre sa beauté et sa grâce suprême. Il n'y a pas de condition si humble et si vile qui arrive à le dégrader, parce qu'il n'y consent pas, et qu'il garde toujours la seule liberté qui puisse être accordée aux créatures, c'est-à-dire la volonté et la résolution arrêtée d'être libre. Il l'est en effet, parce qu'il ne se donne que dans la mesure où il le veut, accordant ou refusant à son gré son affection et ses caresses, et c'est pourquoi il reste beau, c'est-à-dire semblable à son type éternel. Prenez deux Chats, l'un vivant dans quelque logis de grande dame ou de poète, sur les moelleux tapis, sur les divans de soie et les coussins armoriés, l'autre étendu sur le carreau rougi, dans un logis de vieille fille pauvre, ou pelotonné dans une loge de portière, eh bien ! tous deux auront au même degré la noblesse, le respect de soi-même, l'élégance à laquelle le Chat ne peut renoncer sans mourir.

Théodore de Banville

Monday, July 18, 2011

Pascal Quignard

Pascal Quignard est une précieuse que personne n'a l'air de trouver ridicule. Sa pompe sobre, son érudition surexposée, ses ellipses pleines de vertu, son talentueux baroquisme à retardement, la manière dont il bâtit son personnage par saillies nouées, obscures clartés et coquetteries référencées, tout cela a fini par convaincre ses admirateurs que la littérature, c'est ça et c'est lui. Cercle vertueux, cercle vicieux, cercle des parchemins disparus: tout lecteur lisant Quignard finit par se flatter d'être un lecteur de Quignard.

Philippe Lançon - Libération , 17 septembre 2009

Le mythe japonais de Gengis Khan

Si l'on veut comprendre quelque chose aux relations complexes qui existent aujourd'hui encore entre Japonais et Chinois ou Mongols, ces deux peuples impériaux de l'Asie orientale, il faut savoir que les noms de Temüjin et de Gengis Khan ont, aujourd'hui encore, des résonances particulières dans l'esprit des Japonais.
En effet, en 1189, à l'époque même de l'affrimation du pouvoir du fameux chef mongol (devenu chef suprême des mongols en 1206) le célèbre guerrier japonais Minamoto no Yoshistune - fameux héros populaire du récit épique des "Dits des Heike" - meurt obscurément dans une province du nord du Japon précisément au moment où se lève en Asie centrale l'étoile de Temüjin.
Mais, très vite, la légende allait s'emparer de lui. En effet, loin d'être mort, il serait alors passé en Sibérie avant de gagner les hauts-plateaux mongols et de s'y métamorphoser en... Gengis Khan. Une assimilation où le héros mythique (japonais) se transforme en personnage historique (mongol). Un récit semi-mythologique qui atteste - en tout cas - du pouvoir de l'imaginaire sur les mentalités (sinon sur la réalité...) et qui nous éclaire là sur l'un des mythes fondateurs du nationalisme japonais.
En effet, on se souviendra que - dans les années 1930's - le mythe de la "transformation" du samouraï Miyamoto no Yushitsune en Gengis Khan le conquérant fut alors une façon comme une autre - pour les extrémistes du nationalisme japonais - de s'approprier ainsi la "gloire" du célèbre conquérant mongol d'autrefois et d'ainsi mieux s'appuyer sur ce "précédant historique" pour asseoir leurs revendications territoriales en extrême orient et en Asie continentale (en Corée, Mandchourie, Chine, Mongolie, etc).

Nb : Minamoto no Yoshitsune, personnage célèbre de la ligné princière et shogunale des Minamoto (ancêtres des futures lignés shogunales des Ashikaga et des Tokugawa) qui s'est, notamment, illustré dans la guerre qui a opposé pour le pouvoir shogunal- à la fin du XIIe siècle - les princes Minamoto aux princes Taira.

Ronan Blaise



- Sources : « La face de l’Asie », un ouvrage de René Grousset et George Deniker publié en 1955 aux éditions Payot

The living room

the living room

Saturday, July 9, 2011

Les affaires journalistiques

J'ai suivi quelques cours d'écriture à Columbia pendant mon temps libre, j'ai énormément appris sur la manière dont se mènent les affaires journalistiques, jusqu'à éprouver désormais un saint mépris pour le métier. Je pense pour ma part qu'il est fort dommage qu'un secteur potentiellement aussi dynamique soit entre les mains de nazes, de vauriens et de pisse-copies frappés de myopies et d'apathie, bouffis de satisfaction, généralement confits dans un marais de médiocrité stagnante. Si c'est ce à quoi vous essayez d'échapper avec le Sun, alors il me semble que j'aimerais travailler pour vous.

Hunter Stockton Thompson, lettre adressée à Jack Scott, le rédacteur en chef du "Vancouver Sun", le 1er octobre 1958

Tuesday, July 5, 2011

Monsieur le Prince

Personne aussi n’a jamais porté si loin l’invention, l’exécution, l’industrie, les agréments ni la magnificence des fêtes, dont il savait surprendre et enchanter, et dans toutes les espèces imaginables. Jamais aussi tant de talents inutiles, tant de génie sans usage, tant et si continuelle et si vive imagination, uniquement propre à être son bourreau et le fléau des autres ; jamais tant d’épines et tant de dangers dans le commerce, tant et de si sordide avarice, […] d’injustices, de rapines, de violences ; jamais encore tant de hauteur, de prétentions sourdes, nouvelles, adroitement conduites, de subtilités d’usages, d’artifices à les introduire imperceptiblement, puis de s’en avantager […] ; jamais en même temps une si vile bassesse, bassesse sans mesure aux plus petits besoins, ou possibilité d’en avoir.

Saint Simon, Monsieur le Prince, Mémoires, 1691-1715

Hemingway se serait suicidé à cause de la surveillance du FBI

Le 2 juillet 1961 au matin, l’auteur du Vieil homme et la mer, alors âgé de 61 ans, s’emparait de son fusil de chasse préféré et se tirait une balle dans la tête. On attribua alors cet acte aux troubles bipolaires de l’écrivain, à son mal d’inspiration, à des angoisses liées à des problèmes d’argent, de santé voire à une dispute conjugale. Aujourd’hui, pourtant, Aaron Edward Hotchner, auteur de Papa Hemingway et grand ami de l’écrivain au cours des quatorze dernières années de sa vie, remet en cause ces hypothèses. À l’occasion du cinquantenaire de sa mort, dans une lettre parue dans le New York Times, il rappelle qu’Hemingway se rendit à Cuba en 1959, pour écrire un article commandé par le magazine Life. Le soupçonnant de collaborer avec le régime cubain, le F.B.I le mit alors sous surveillance étroite, ce dont atteste un dossier de 127 pages, rendu public en 1983. Les documents prouveraient même que l’un des agents fédéraux, J. Edgar Hoover, avait pris un intérêt personnel dans cette enquête. Se remémorant les mois ayant précédé le drame, Aaron Edward Hotchner se souvient de la détresse d’Hemingway lors d’une visite à son domicile de Ketchum dans l’Idaho: « C'est le pire des enfers, lui aurait confié l’écrivain. Ils ont tout mis sur écoute. Voilà pourquoi nous utilisons la voiture du Duke : la mienne est sur écoute. Tout est sur écoute. Impossible de téléphoner. Mon courrier est intercepté. » Cette surveillance oppressante aurait perduré à l’hôpital Saint Mary, dans le Minnesota, où l’écrivain fut admis en novembre 1960 pour y recevoir des soins psychiatriques par électrochocs. Aujourd’hui, Hotchner regrette d’avoir sous-estimé la hantise qu’Hemingway avait du F.B.I. « J’ai essayé de confronter cette peur avec l’enquête réelle menée par les fédéraux. Je pense désormais qu’il sentait réellement la surveillance et que celle-ci a substantiellement contribué à son angoisse et son suicide. »

Kafka vu par Max Brod

Bien souvent les admirateurs de Kafka, qui ne le connaissent que d'après ses livres, se font de lui une image tout à fait fausse. Ils croient qu'il devait produire sur ses amis l'impression de quelqu'un de triste et même de désespéré. C'est tout le contraire. On se sentait à l'aise avec lui. Par la richesse de ses pensées exprimées d'habitude sur le mode badin, il était, pour employer un mot bien terne, l'un des hommes les plus captivants que j'aie connus, malgré sa modestie et son calme. Il parlait peu, lorsque la société était nombreuse il arrivait parfois que, des heures durant, il ne prît pas la parole. Mais sitôt qu'il disait quelque chose, le silence se faisait. Car ses paroles étaient toujours chargées de sens et elles allaient au vif du sujet. Dans les conversations intimes sa langue se déliait parfois d'une façon tout à fait étonnante ; à l'occasion, il s'abandonnait à l'enthousiasme, et alors c'étaient des plaisanteries et des rires à n'en plus finir, lui-même riait volontiers de tout son cœur et il savait amener ses amis à en faire autant. Plus encore : dans les situations délicates on pouvait s'en remettre sans hésitation à son jugement sûr, son tact, ses conseils qui portaient rarement à faux. C'était un ami qui vous venait merveilleusement en aide. Ce n'est que pour tout ce qui le concernait lui-même qu'il était embarrassé et désemparé – on n'avait cette impression que bien rarement, mais il faut dire qu'elle s'approfondit à la lecture de ses Carnets. Je me suis décidé à écrire ces souvenirs en considérant entre autres qu'à lire ses livres, et particulièrement les Carnets, on se forme de lui une image toute différente, et bien plus sombre que si on possède pour la rectifier et la compléter les impressions de qui l'a connu dans la vie quotidienne. La personne de Kafka, telle que l'image s'en est conservée dans la mémoire de ses amis, demande qu'on lui fasse place à côté de l'œuvre pour les jugements à venir.

Max Brod

La Douce

Plus on traduit, plus on se rend compte du caractère artificiel de cette occupation. Il ne s'agira jamais de faire croire que Dostoïevski, écrivant en français, aurait écrit le texte que le lecteur a sous les yeux - et cela pour une raison toute simple, c'est qu'il écrit en russe. Les mots essentiels recouvrent dans les deux langues des réalités tout à fait différentes.

Ainsi, pour le titre : La Douce. Le titre russe, Krotkaïa, ne signfie pas seulement que cette femme est douce (tendre, faible, fragile), mais aussi qu'elle est humble, modeste - justement, effacée. Elle possède cette qualité suprême pour Dostoïevski qui fait toute la force du prince Mychkine, le smirénié, un mot que le français ne peut traduire que par "humilité". Or, la langue russe ne dit pas que l'humble est, selon notre étymologie latine, humilis (abaissé jusqu'à terre), il dit qu'il possède le mir, c'est-à-dire la paix, en soi. L'homme ne s'humilie pas, il est en paix; il ne perd rien; son renoncement n'est en rien négatif, il est, au contraire, signe d'accord avec l'ordre du monde.

De même le héros parle-t-il, dans le texte français, tantôt d'orgueil, et tantôt de fierté. Dostoïevski n'emploie qu'un mot unique, gordost, qui recouvre ces deux concepts. Le russe ne distingue pas entre l'orgueil, (que notre tradition nous désigne comme un péché capital) et la fierté (que le bon sens nous indique comme une nécessité). Dostoïevski joue de l'ambiguïté car, pour la conscience de la langue, formée par des siècles et des siècles de pensée orthodoxe, toute forme de fierté est un défi à Dieu. L'homme ne peut exister que dans sa soumission, dans son effacement. La véritable liberté, selon le schéma du Chervalier avare de Pouchkine mis au jour par l'Adolescent de Dostoïevski, ne peut se découvrir que dans le renoncement à sa liberté propre.

J'ai longtemps essayer de n'employer dans ma traduction que le mot "orgueil". Il m'a semblé ensuite que c'était renoncer sans raison à une richesse du français et que, invraisemblance pour invraisemblance, perte pour perte, l'essentiel était tout d'abord d'user des ressources de la langue, quitte à en avertir le lecteur. Autant valait faire dire à Loukéria (parlant de sa maîtresse) : "elle est fière" plutôt qu'un impossible "elle a de l'orgueil". Ce "elle est fière" sert d'ailleurs de point d'appui au personnage pour énoncer sa soif de domination ("Moi, n'est-ce-pas, c'est celles que je préfère, les fières...") et apparaît aussi comme un moyen de passage entre les deux idées.

André Markowicz, La Douce

Ce sont des Staatsfanatiker

Les Français, voyez-vous cher Atzbacher, les Français aiment l’Etat, ils sont terriblement attachés à l’Etat, de l’enfance à la vieillesse ils sont attachés à l’Etat, des fanatiques de l’Etat. Ils sont élevés en serviteurs de l’Etat, même les Français qui ne sont pas fonctionnaires ne jurent que par l’Etat, ils naissent, ils grandissent, ils se marient, ils copulent, ils travaillent, ils pensent, ils meurent dans et pour l’Etat qui leur garantit leur identité et le minimum vital toujours. Comme ils ne jurent que par l’Etat, ils ne jurent que par la police. L’un ne va pas sans l’autre. Si vous êtes fanatiques de l’Etat, vous êtes fanatiques de sa police, dit Reger.

Thomas Bernhard, Maîtres anciens

Monday, July 4, 2011

Cats

cats

Saturday, July 2, 2011

L’Art de la Guerre

Le premier document faisant mention de techniques de manipulation, est « l’Art de la Guerre », attribué à Sun Tzu (auteur ou groupe d’auteurs) dont on ne sait rien, si ce n’est qu’il vécut quelques siècles av. J-C. en Chine, à peu près à la même époque que Confucius.
- « Tout l’art de la guerre est fondé sur la duperie » ;
- « Ceux qui sont experts dans l’art de la guerre soumettent l’armée ennemie sans combat. Ils prennent les villes sans donner l’assaut et renversent un état sans opération prolongée » ;
- « Toute campagne guerrière doit être fondée sur le faux-semblant; feignez le désordre, ne manquez jamais d’offrir un appât à l’ennemi pour le leurrer, simulez l’infériorité pour encourager son arrogance, sachez attiser son courroux pour mieux le plonger dans la confusion: sa convoitise le lancera sur vous pour s’y briser » ;
- « Lorsque l’ennemi est uni, divisez-le; et attaquez là où il n’est point préparé, en surgissant lorsqu’il ne s’y attend point. Telles sont les clefs stratégiques de la victoire, mais prenez garde de ne point les engager par avance ».

Highlighted memories

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Friday, July 1, 2011

De même que la ville

De même que la ville, façades rouges tachées de suie qui se répètent rétrécies par la perspective, comme un coffre chinois en contenant un autre plus petit, et celui-ci un autre, et celui-ci un autre, de même les êtres qui l’habitent : monotonie, vulgarité repoussante partout. Comment remplir les heures de cette existence sans fond ? Divinité à deux faces, utilitarisme, puritanisme, c’est à elle que de tels gens peuvent rendre culte, pour eux tout ce qui ne procure pas un profit tangible est un péché. L’imagination leur est aussi étrangère que l’eau pour le désert, ils sont incapables de tout acte superflu, généreux, libre, raison première de l’existence. Et là-bas, au fond de ton être, où vivent des instincts cruels, tu trouves que tu ne saurais condamner ce rêve : la destruction de cette accumulation de niches administratives.

Luis Cernuda, Ocnos

Un tour en ville

Je suis sorti faire. Bon Dieu, voilà que je remettais ça, traîner la savate dans les rues. Je regardais les gueules autour de moi, et je savais que la mienne était pareille. Des tronches vidées de leur sang, des mines pincées, soucieuses, paumées. Des tronches comme des fleurs arrachées de leurs racines et fourrées dans un joli vase ; les couleurs ne duraient pas bien longtemps. Fallait vraiment que je quitte cette ville.

John Fante, Demande à la poussière