Tuesday, September 25, 2012

Une barrière symbolique

Aujourd’hui, la fracture politique ne passe plus par la gauche et la droite, mais entre ceux qui ont les moyens de construire une barrière symbolique entre soi et les autres, et ceux qui ne les ont pas.
Dans les quartiers populaires des grandes villes, l’évitement du collège est souvent la norme pour les catégories supérieures. Les bobos parisiens ont les moyens d’ériger des frontières en douceur, un "évitement républicain" en quelque sorte : ils savent se débrouiller pour ne pas mettre leurs gamins dans la même école que ceux des familles tchétchènes ou africaines. Un enseignant sur cinq contourne la carte scolaire. Pour les ouvriers ou les paysans, le taux passe à un sur vingt. Quand il n’y a pas d’autre fuite possible, la tentation est de demander à quelqu’un, qu’on suppose politiquement fort, de dresser pour vous cette barrière symbolique. A l’arrivée, on peut quand même se poser la question : qui est dans la radicalité ? Le salarié à temps partiel qui vote FN ? Ou le bobo parisien qui fait de l’évitement scolaire ?

Christophe Guilluy, géographe

Sunday, September 23, 2012

L’eutrapélie

L’eutrapélie est un mot que j’ai été cherché à dessein dans le grec d’Aristote et le latin scolastique de Thomas d'Aquin, et qui a remporté un certain succès de surprise chez mes lecteurs. Ce mot savant désigne en fait une disposition d’humeur heureuse, bienveillante, souriante qui répand dans la conversation et les relations sociales la détente, la gaîté, l’esprit de jeu et de joie. L’entrée de cette notion hellénique dans le vocabulaire de la théologie morale chrétienne au XIIIe siècle a coïncidé avec l’apparition du sourire sur les traits des Vierges à l’enfant ou des Christs de la sculpture gothique. La joie contagieuse commence à devenir une vertu, et la tristesse cesse d’être tenue pour l’attitude convenable au chrétien. L’humanisme de la Renaissance, qui réhabilite l’otium, laïcisera cet esprit de joie. Tout un aspect des arts de la Renaissance se propose de favoriser cette bonne humeur, fille de l’équilibre intérieur, et mère du bonheur social. On a l’impression d’être revenu au Haut Moyen-âge lorsque l’on parcourt les installations sanglantes ou les conceptualisations sordides qui s’étalent dans les Foires dites d’Art contemporain. La joie et le sourire sont bannis de ces sabbats sinistres et prétentieux. Ils vous sont rendus lorsque vous parcourez les salles bien disposées et bien éclairées d’un musée où voisinent Titien et Véronèse, Boucher et Watteau, Corot et Matisse.

Marc Fumaroli

Thursday, September 20, 2012

Friday, September 14, 2012

Le récit à l’ère des réseaux

La finalité anthropologique du récit serait de « donner une épaisseur signifiante au passage du temps » dans une sphère culturelle d’expérience de la signification. Mais qu’en est-il du récit, de ses fonctions anthropologiques et littéraires avec l’entrée dans l’ère des réseaux ? [...] L’usage généralisé des nouveaux moyens de communication (ou médiums) que sont les réseaux télévisuels et de l’internet entraîne en effet de profonds changements culturels. Alors que le cinéma tend à faire usage des mêmes moyens narratifs que ceux de la création littéraire, les réseaux télévisuels et internet généralisent l’usage de la forme narrative, par exemple dans le reportage télévisé, dans le storytelling managérial générateur de récit d’entreprise, mais également dans les jeux vidéo. Les nouveaux contenus (ou médias), intimement liés à une logique marchande, engendrent, selon Jean-François Lyotard, une « détemporalisation » et une délocalisation » de l’information qui tendent à couper les liens ethnoculturels permettant jusqu’alors aux peuples de solliciter leur mémoire afin d’organiser l’espace et le temps. L’interactivité permet au récepteur de participer à la création en intervenant, dans une certaine limite, sur les contenus. La relation classique entre créateur individuel et récepteur passif s’en voit ainsi modifiée.

Françoise Dufour, Sylvie André, Le récit. Perspectives anthropologique et littéraire

Monday, September 10, 2012

La lecture est une invention culturelle

La lecture est une invention culturelle qui n'était pas programmée pour voir le jour au regard de notre patrimoine génétique. Celui-ci prévoit l'utilisation de nos cinq sens, ainsi que de notre mémoire et de notre développement conceptuel. Le langage est également devenu un élément constitutif de notre espèce. Chomsky était tout à fait dans le vrai en affirmant dans Structures syntaxiques, sa thèse publiée en 1957, que l'espèce humaine a connu une évolution au cours de laquelle est apparu un programme génétique pour le langage oral. Mais rien de tel pour la lecture ! Nous ne disposons pas du moindre gène spécifique à celle-ci. Il s'agit là d'une différence énorme. La lecture n'est pas naturelle. Le cerveau humain ne donne pas le sentiment d'avoir été conçu par un ingénieur, car jamais un ingénieur n'aurait imaginé quelque chose qui puisse aller au-delà des parties qui le constituent. Or, quand un enfant s'adonne à la lecture, il façonne un nouveau circuit neuronal à partir de parties plus anciennes de son cerveau et génétiquement programmées pour autre chose : la vue, l'ouïe, le langage, la mémoire, etc. Ce sont les principes de connectivité et de plasticité (les deux vont de pair) qui permettent de comprendre le mécanisme de la lecture. La lecture renvoie à la capacité de créer quelque chose de nouveau à partir de ce qui existe déjà. Sa nouveauté tient précisément à cette réorganisation. La preuve même de la plasticité neuronale, c'est qu'un cerveau qui déchiffre le système d'écriture chinois fonctionne d'une manière très singulière et différente de la nôtre.

Maryanne Wolf

Sunday, September 9, 2012

Tuesday, September 4, 2012

Une grande famille

Les langues indo-européennes forment une très grande famille, regroupant aujourd’hui plus de 400 langages parlés par 3 milliards de personnes. Voici les principaux sous-groupes :

— les langues latines: français, espagnol, roumain, italien, catalan..
— les langues germaniques : anglais, allemand, danois, norvégien, suédois, flamand..
— les langues slaves : russe, serbo-croate, slovaque, tchèque…
— le grec
— les langues indo-iraniennes : hindi-ourdou, bengali, singhalais, panjabi, sanscrit (ancienne langue), persan..
— les langues celtiques : breton, gallois, irlandais…
— les langues baltes

Plusieurs langues parlées en Europe sont des exceptions notables et n’appartiennent pas à cette famille : le basque, le hongrois, le finnois, le lapon et l’estonien.