Tuesday, September 25, 2012

Une barrière symbolique

Aujourd’hui, la fracture politique ne passe plus par la gauche et la droite, mais entre ceux qui ont les moyens de construire une barrière symbolique entre soi et les autres, et ceux qui ne les ont pas.
Dans les quartiers populaires des grandes villes, l’évitement du collège est souvent la norme pour les catégories supérieures. Les bobos parisiens ont les moyens d’ériger des frontières en douceur, un "évitement républicain" en quelque sorte : ils savent se débrouiller pour ne pas mettre leurs gamins dans la même école que ceux des familles tchétchènes ou africaines. Un enseignant sur cinq contourne la carte scolaire. Pour les ouvriers ou les paysans, le taux passe à un sur vingt. Quand il n’y a pas d’autre fuite possible, la tentation est de demander à quelqu’un, qu’on suppose politiquement fort, de dresser pour vous cette barrière symbolique. A l’arrivée, on peut quand même se poser la question : qui est dans la radicalité ? Le salarié à temps partiel qui vote FN ? Ou le bobo parisien qui fait de l’évitement scolaire ?

Christophe Guilluy, géographe

4 comments:

  1. Bonjour

    L'article dont vous tirez cette citation se trouve ici : http://crise.blog.lemonde.fr/2012/09/25/zones-fragiles-dans-les-territoires-de-repli-tout-devient-menace

    Sous le pseudo Aline Maginot, j'y ai mis ce commentaire, sans réponse. Peut-être qu'ici on va débattre...

    "Excellent article, belle lucidité sur ce qui se passe, puissance d’analyse qui impressionne. Effectivement, une des lignes qui comptent, peut-être même celle qui compte le plus, passe « entre ceux qui ont les moyens de construire une barrière symbolique entre soi et les autres, et ceux qui ne les ont pas. »

    "Ceci étant dit, admis (et ce sera admis en dépit de la résistance de certains, Léon le Bourdon, par exemple, dans son commentaire de 12h33), il faudra poser quelques bonnes questions. Dont celle-ci, la meilleure de toutes d’après moi : « et alors ? » L’oppression est illégitime, l’exploitation de l’homme par l’homme est illégitime, mais qui osera affirmer (et sur quelles bases théoriques incontestables) que les stratégies d’évitement sont illégitimes ?

    "Dont celle-ci aussi, pas la meilleure mais la plus amusante : et ils sont où ceux qui vont se dévouer pour venir nous chercher dans nos retranchements, nous qui savons mener la guerrilla de l’évitement et, pour commencer, sommes très difficiles à situer ? (Ne serait-ce que parce que, tout en méprisant Marine, ses militants et leur idéologie, nous n’adhérons pas non plus aux consensuelles valeurs socio-démocrates qu’on veut utiliser pour nous faire honte et nous convaincre de rejoindre le troupeau.)

    "Dont celle-ci aussi, pas la meilleure non plus mais la plus gênante pour ceux qui sont sensibles à la honte : comment venir nous chercher efficacement sans se transformer en oppresseur, et donc renoncer à ses idéaux ? (Cf. plus haut : « l’oppression est illégitime »)"

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  2. Bonsoir,

    Il y a quelque chose qui vous empêche de dormir Aline, au point de chercher désespérément à débattre pour alléger votre conscience, sachant que vous êtes dans une stratégie d'évitement et sachant pertinemment que cette stratégie met en échec la volonté des gouvernements qui pensent que seule la mixité sociale aura raison du délitement de l'unité nationale ? Vous craignez que la police de Normal Ie vienne tirer vos marmots des salles de classe où ils sont à l'abri des hordes de gamins "tchétchènes ou africains" ? Vous parlez de "honte" alors que pas une seule fois ce terme n'a été employé par C. Guilluy. Doit-on en déduire que vous vous sentez républicain, démocrate, mais que vos agissements vont à l'encontre de vos idéaux politiques ? Si je vous comprends bien, vous considérez comme illégitime l'oppression qu'il vous faut subir, mais pas vraiment illégitime l'oppression que subit le camps d'en face, ceux qui n'ont pas les moyens de l'"évitement républicain" ?

    C. Guilluy explique pourquoi un grand nombre de Français sont attirés par les thèses du FN, particulièrement ceux qui ne peuvent pas se "protéger symboliquement" d'une "menace" que l'immense majorité ressent comme une réalité et qui la pousse à la xénophobie, au sens où celui qui culturellement ne me ressemble pas fait peur. Il ne dit pas si cette réaction craintive est bonne ou mauvaise, il le constate.

    Ce constat me semble pertinent, et il me semble qu'il l'est aussi pour vous. Alors où se trouve votre problème ? La chose dont il faudrait discuter ? Je ne sais pas de quoi vous voulez débattre.

    Ce que je savais, par contre, c'est que cette citation est extraite de l'entretient réalisé par Florence Aubenas, parce que je n'avais pas pu l'inventer, il avait bien fallu que je la copie quelque part.

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  3. "Il y a quelque chose qui vous empêche de dormir Aline" ? Plutôt oui : c'est sans doute cette même chose qui vous pousse à publier. Je ne cherche pas "désespérément" à débattre. Mais je sais que j'exprime une position qui énerve les socio-démocrates, et je trouve ça drôle de chercher des socio-démocrates à énerver, particulièrement parmi ceux qui lisent les mêmes choses que moi. Il n'est pas exclu que cela soit un peu puéril, mais est-ce "désespéré" ? Non.

    Comment dire ? Il ne me suffit pas d'éviter ou de fuir la manière dont on me gère. Je souhaite que cette fuite se voie, pour qu'elle gêne aussi gravement que possible les gens qui gèrent et ceux qui comme C. Guilluy inspirent les gens qui gèrent, pour qu'elle perturbe les grilles de lecture et de conception de solutions de tous ces gens. Je sais que je ne peux pas gagner à tous les coups : il arrive que mes prises de position gênent, il arrive aussi qu'elles laissent indifférent. Et voilà justement que mon commentaire sur le site original de l'article ne suscite aucune réponse, aucune réaction. Je tente donc d'aller à la pêche aux réactions, pour voir. Peut-être n'est-ce pas le bon endroit, et alors notre dialogue va s'arrêter dans un ou deux paragraphes.

    Alors, non, je ne crains pas "que la police de Normal Ier vienne tirer [mes] marmots des salles de classe où ils sont à l'abri des hordes de gamins "tchétchènes ou africains"" Je ne me sens pas particulièrement opprimée non plus, ni par la droite ni par la gauche, et même, du fait que je n'ai pas d'enfants, je me sens très assurée dans ma liberté et assez hors de portée de l'oppression et des politiques publiques pénibles. Mais je vois fonctionner à longueur d'articles et d'analyses, y compris dans les meilleurs, une pensée officielle totalitaire qu'il me plaît de défier. Êtes-vous, Yves, ou quelques-uns des lecteurs/commentateurs de ce blog, du côté de cette pensée officielle ? Voilà où se situe ma curiosité.

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    1. Je comprends mieux, Aline : pour passer le temps, il vous arrive de troller les sociaux-démocrates, d'essayer de les mettre en colère, histoire de rigoler un moment. Le problème, c'est que faire réagir un social-démocrate — en admettant que je sache ce qu'est un SD — est un exercice assez compliqué.

      Comme vous le remarquez, le SD ne s'adresse qu'au maître : il imagine que le géographe, le sociologue, le journaliste, le philosophe, l'économiste, le politologue, l'artiste, l'auteur du papier sous lequel il commente prendra en compte sa réflexion, sa judicieuse remarque, sachant pourtant qu'il n'obtiendra jamais la moindre réponse. Ce qui est sûrement sans importance, parce que seule l'illusion d'avoir pu s'adresser directement au maître le remplit d'aise. Le SD, qui n'est peut-être rien d'autre qu'un petit bourgeois, un bobo — dénomination moins désuète —, se rêve en premier de la classe, bien qu'il ne s'en donne jamais les moyens. Il a quand même une haute estime de lui et se pense sans cesse dans la compétition. Pourtant, l'idée de contester l'opinion d'une des petites cervelles s'étant exprimée avant lui, le fait vivre dans la crainte de se faire ramasser. Aussi, il ne prendra presque jamais le risque de débattre. Il se contentera de mépriser ses congénères, ceux qui sont dans la même position que lui, simple commentateur.

      Donc, si vous tenez à défier ce genre d'individus, il vous faudra vous lever de bonne heure et passer vos journées à dénicher le mâle ou la femelle qui répondra à vos provocations, sans éveiller, chez lui ou chez elle, le soupçon du trolling.

      Si vous voulez en savoir un peu plus sur le fond — très peu profond — de ma pensée, je vous conseille, plutôt que de lire ici de simples copier/coller, de me suivre sur Traverses, un blog charmant, miroir de mes humeurs.

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