Sunday, September 23, 2012

L’eutrapélie

L’eutrapélie est un mot que j’ai été cherché à dessein dans le grec d’Aristote et le latin scolastique de Thomas d'Aquin, et qui a remporté un certain succès de surprise chez mes lecteurs. Ce mot savant désigne en fait une disposition d’humeur heureuse, bienveillante, souriante qui répand dans la conversation et les relations sociales la détente, la gaîté, l’esprit de jeu et de joie. L’entrée de cette notion hellénique dans le vocabulaire de la théologie morale chrétienne au XIIIe siècle a coïncidé avec l’apparition du sourire sur les traits des Vierges à l’enfant ou des Christs de la sculpture gothique. La joie contagieuse commence à devenir une vertu, et la tristesse cesse d’être tenue pour l’attitude convenable au chrétien. L’humanisme de la Renaissance, qui réhabilite l’otium, laïcisera cet esprit de joie. Tout un aspect des arts de la Renaissance se propose de favoriser cette bonne humeur, fille de l’équilibre intérieur, et mère du bonheur social. On a l’impression d’être revenu au Haut Moyen-âge lorsque l’on parcourt les installations sanglantes ou les conceptualisations sordides qui s’étalent dans les Foires dites d’Art contemporain. La joie et le sourire sont bannis de ces sabbats sinistres et prétentieux. Ils vous sont rendus lorsque vous parcourez les salles bien disposées et bien éclairées d’un musée où voisinent Titien et Véronèse, Boucher et Watteau, Corot et Matisse.

Marc Fumaroli

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