La lecture est une invention culturelle qui n'était pas programmée pour voir le jour au regard de notre patrimoine génétique. Celui-ci prévoit l'utilisation de nos cinq sens, ainsi que de notre mémoire et de notre développement conceptuel. Le langage est également devenu un élément constitutif de notre espèce. Chomsky était tout à fait dans le vrai en affirmant dans Structures syntaxiques, sa thèse publiée en 1957, que l'espèce humaine a connu une évolution au cours de laquelle est apparu un programme génétique pour le langage oral. Mais rien de tel pour la lecture ! Nous ne disposons pas du moindre gène spécifique à celle-ci. Il s'agit là d'une différence énorme. La lecture n'est pas naturelle. Le cerveau humain ne donne pas le sentiment d'avoir été conçu par un ingénieur, car jamais un ingénieur n'aurait imaginé quelque chose qui puisse aller au-delà des parties qui le constituent. Or, quand un enfant s'adonne à la lecture, il façonne un nouveau circuit neuronal à partir de parties plus anciennes de son cerveau et génétiquement programmées pour autre chose : la vue, l'ouïe, le langage, la mémoire, etc. Ce sont les principes de connectivité et de plasticité (les deux vont de pair) qui permettent de comprendre le mécanisme de la lecture. La lecture renvoie à la capacité de créer quelque chose de nouveau à partir de ce qui existe déjà. Sa nouveauté tient précisément à cette réorganisation. La preuve même de la plasticité neuronale, c'est qu'un cerveau qui déchiffre le système d'écriture chinois fonctionne d'une manière très singulière et différente de la nôtre.
Maryanne Wolf
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