Il y a une différence fondamentale entre les sociétés où le statut, la position sociale sont connus d’avance et relativement non négociables et celles ou l’identité sociale est à faire. Dans le premier cas, l’identité est inscrite dans une position sociale et la vie psychique, intérieure, est alignée sur cette identité et ce statut. On parait ce que l’on est, et on est ce que l’on parait. Or, la modernité ça veut dire une séparation entre statut social et rapport à soi, entre position sociale et identité. Ça veut dire que ce que l’on appelle “le sentiment de sa valeur” devient instable, négociable, à prouver et a acquérir. Ça veut donc dire que le sentiment d’insécurité sur sa propre valeur devient permanent, inscrit si je puis dire dans les rapports sociaux.
Deuxième élément : la transformation de l’écologie du choix amoureux fait que tout le monde est en compétition avec tout le monde. Les femmes belles sont en compétition avec les femmes intelligentes ; les catholiques avec les juives ; les cools avec les BCBG. C’est très diffèrent de la situation jusqu’au XIXème siècle, où les échantillons restent limités et régulés. La situation de compétition sur le marché amoureux est devenue très forte, peut-être encore plus forte que la compétition sur le marché du travail. Tout ça crée une incertitude sur sa valeur et un déficit de reconnaissance sociale (la reconnaissance c’est ce qui nous assure de notre valeur).
Etre dans une relation amoureuse, ça veut dire arrêter la compétition, avoir été élu, choisi parmi les autres. La relation amoureuse peut donc prodiguer ce déficit de reconnaissance qui manque de façon chronique et structurale à la plupart d’entre nous.
Eva Illouz, Pourquoi l'amour fait mal : l'experience amoureuse dans la modernité
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