On a pu parfois trouver hasardeux mon emploi de la notion de période post-historique pour désigner le temps où nous sommes et les indéniables changements que nous traversons sans fin. Il en est même qui considèrent encore cet emploi comme une faiblesse ou une facilité. Ceux-là veulent bien remarquer qu’un bouleversement sans exemple se déploie sous nos yeux ; ils consentent même à le trouver horrifique dans la majeure partie de ses effets ; mais ils poussent les hauts cris lorsque l’hypothèse d’une fin de l’Histoire, et d’une fin de l’Histoire particulièrement noire, est avancée. Ils font alors précipitamment observer que, si tout change, aucun des changements que l’on peut constater n’arrive sans précédent, et que tout ce qui est maintenant se trouvait aussi déjà là avant, du moins en germe. Ce qui revient à cette lapalissade qu’une métamorphose s’opère toujours en empruntant à des éléments existants. Mais il n’en reste pas moins vrai que c’est une métamorphose ; et qu’à un moment ou à un autre elle est accomplie ou en bonne voie d’achèvement ; et qu’elle se voit soudain. D’où cette notion de période post-historique dont je persiste à avancer la proposition afin de faire sentir, de la manière la plus brutale possible, une coupure ou une rupture également générale et profonde que d’ailleurs n’importe qui est à même de constater. Le sens des mots et des données se transforme. Les visages et les comportements prennent des airs qu’on ne leur soupçonnait pas la veille encore. Ce qui pouvait être compris ne l’est plus, et ce qui apparaît ne se laisse comprendre que malaisément. Il y a du nouveau sous le soleil de Satan ; et, de ce nouveau, il est permis et même recommandé de ne pas se réjouir. Dans toutes ses parties, l’existence est en proie à un bouleversement fondamental. Tandis qu’au-dessus d’elle, dans les nuées, plane une idylle maternisante et désymbolisante, la nouvelle humanité, démarchée sans relâche par les missionnaires du culte écologique-animalier, par les membres de la secte pénalophile, par le club des joyeux créateurs de nouveaux délits, par les militants pour une délation heureuse, par ceux de la victimomanie qui a toujours raison contre la raison et par toutes les autres associations dont le nom est légion, célèbre la fin de la société du travail, la désexualisation des rapports humains et l’assomption des enfants, ces êtres sans histoire par définition, et aimés à la folie pour ce motif. Mais à part ça, bien entendu, l’Histoire continue.
Philippe Muray, Minimum respect
Philippe Muray, Minimum respect
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