Thursday, October 25, 2012
Monday, October 15, 2012
Une typologie du don
Fréderic Lordon ébauche une typologie des différents types de don :
— Le don de pacification : il s’établit pour réprimer la violence originelle des conatus. La société n’est faite que de ces conatus et de leur régulation. La pacification est donc comme une guerre menée à la guerre : les pulsions prédatrices doivent être domestiquées et tournées en leur contraire. « C’est du prendre que vient le danger, c’est lui qu’il faut impérativement entourer de “toutes sortes de précautions archaïques”, c’est sa violence intrinsèque qu’il faut neutraliser par une mise en forme “sans aucune faute” ». Au lieu de dépenser ses forces à piller et tuer son voisin, on apprendra au contraire à se montrer généreux envers lui. « Au moment même où le geste pronateur se révèle comme le mouvement le plus brut du conatus, il s’annonce également comme le péril social par excellence dès lors qu’il menace de prendre des mains d’autrui ce qu’il ne peut pas prendre à la nature ». Le combat de l’homme contre l’homme est transformé en une joute agonale, selon le jeu réglé du don / contre-don : tu m’offres énormément et je t’en remercie avec gratitude. Mais je saurai me montrer encore plus généreux que toi et j’en acquerrai un prestige supérieur. « Tant que les appareils de la pacification fondamentale sont encore trop fragiles et que la libération des conatus sous la forme utilitaire-matérielle ne cesse d’emporter le risque de la décomposition violente, l’échange économique intéressé est voué à la stigmatisation et à l’indignité. A contrario, la grandeur des pratiques de l’échange symbolique est attestée par une forme de renoncement consenti aux yeux de tous, le sacrifice des élans spontanés de son conatus manifestant un haut degré de maîtrise de soi — c’est-à-dire de ses pulsions antisociales — et de considération pour les exigences de la cohésion collective ». Cette première forme du don est bien une mise en forme, qui exige un respect impeccable du cérémoniel de l’échange, de manière à tenir à l’écart les choses et les appétits qu’elles excitent.
— Le don de sociation : La menace de l’anarchie généralisée étant écartée, la société acquiert une plus grande stabilité, qui permet une plus grande complexité des échanges. Ce deuxième type de don permet d’entretenir de bonnes relations avec ses "amis". Il maintient des relations d’obligations réciproques et inclue-même les pratiques de celui qui corrompt, soudoie, stipendie. Le don, loin d’être pur, est intéressé à maintenir l’intérêt du donateur, par une pratique qui m’attache la reconnaissance d’autrui, et qui se fait passer pour de la pure libéralité.
— Le don unilatéral : Il est le plus proche du modèle idéal de don pur, gratuit, fait par pure générosité. Il a pour effet d’accroître son estime. Il est plus raffiné, plus civilisé, plus beau sans doute, mais pas moins intéressé, car même l’homme le plus généreux aime jouir de l’estime des autres et ressentir sa puissance dans l’acte même d’offrande. Il est en un sens le plus trompeur car il est celui qui peut le plus passer pour une donation sans réciproque.
— Le don de pacification : il s’établit pour réprimer la violence originelle des conatus. La société n’est faite que de ces conatus et de leur régulation. La pacification est donc comme une guerre menée à la guerre : les pulsions prédatrices doivent être domestiquées et tournées en leur contraire. « C’est du prendre que vient le danger, c’est lui qu’il faut impérativement entourer de “toutes sortes de précautions archaïques”, c’est sa violence intrinsèque qu’il faut neutraliser par une mise en forme “sans aucune faute” ». Au lieu de dépenser ses forces à piller et tuer son voisin, on apprendra au contraire à se montrer généreux envers lui. « Au moment même où le geste pronateur se révèle comme le mouvement le plus brut du conatus, il s’annonce également comme le péril social par excellence dès lors qu’il menace de prendre des mains d’autrui ce qu’il ne peut pas prendre à la nature ». Le combat de l’homme contre l’homme est transformé en une joute agonale, selon le jeu réglé du don / contre-don : tu m’offres énormément et je t’en remercie avec gratitude. Mais je saurai me montrer encore plus généreux que toi et j’en acquerrai un prestige supérieur. « Tant que les appareils de la pacification fondamentale sont encore trop fragiles et que la libération des conatus sous la forme utilitaire-matérielle ne cesse d’emporter le risque de la décomposition violente, l’échange économique intéressé est voué à la stigmatisation et à l’indignité. A contrario, la grandeur des pratiques de l’échange symbolique est attestée par une forme de renoncement consenti aux yeux de tous, le sacrifice des élans spontanés de son conatus manifestant un haut degré de maîtrise de soi — c’est-à-dire de ses pulsions antisociales — et de considération pour les exigences de la cohésion collective ». Cette première forme du don est bien une mise en forme, qui exige un respect impeccable du cérémoniel de l’échange, de manière à tenir à l’écart les choses et les appétits qu’elles excitent.
— Le don de sociation : La menace de l’anarchie généralisée étant écartée, la société acquiert une plus grande stabilité, qui permet une plus grande complexité des échanges. Ce deuxième type de don permet d’entretenir de bonnes relations avec ses "amis". Il maintient des relations d’obligations réciproques et inclue-même les pratiques de celui qui corrompt, soudoie, stipendie. Le don, loin d’être pur, est intéressé à maintenir l’intérêt du donateur, par une pratique qui m’attache la reconnaissance d’autrui, et qui se fait passer pour de la pure libéralité.
— Le don unilatéral : Il est le plus proche du modèle idéal de don pur, gratuit, fait par pure générosité. Il a pour effet d’accroître son estime. Il est plus raffiné, plus civilisé, plus beau sans doute, mais pas moins intéressé, car même l’homme le plus généreux aime jouir de l’estime des autres et ressentir sa puissance dans l’acte même d’offrande. Il est en un sens le plus trompeur car il est celui qui peut le plus passer pour une donation sans réciproque.
Le don/contre-don
Le don/contre-don est l’une de ces codifications encore tout empreinte de la terreur archaïque qu’inspirent les pronations sans frein. C’est pourquoi il fait le choix de la prohibition et, barrant la prise, n’autorise que la réception - "ne prends rien qui ne t’ait été donné par autrui" est sa maxime civilisationnelle. Sans doute l’un des premiers modes de régulation de la circulation des choses, le don/contre-don n’est que le commencement d’une trajectoire historique qui va inventer bien d’autres mises en forme du prendre. C’est bien sous ce rapport et dans cette perspective qu’il faut replacer l’émergence spécifique de l’échange économique, à propos duquel Mauss, d’une certaine manière, nous invite à nous étonner à nouveau de ce qui ne nous étonne plus depuis longtemps : l’achat est un prendre, mais dont les sociétés modernes semblent avoir oublié toute la part de violence.
Frédéric Lordon, L’intérêt souverain
Frédéric Lordon, L’intérêt souverain
Friday, October 5, 2012
Journalistes, nouveaux pauvres
On perçoit actuellement dans le journalisme les conséquences d’une évolution qui affecte plus largement une grande partie du tertiaire et tout particulièrement le secteur de la production et de la diffusion des biens symboliques, évolution caractérisée par l’émergence et le développement au sein des classes moyennes d’un « prolétariat » de type nouveau, comparable à bien des égards à l’ancien prolétariat industriel, et en même temps très différent parce que les nouveaux manœuvres, ouvriers spécialisés et autres « nouveaux pauvres » de la production symbolique sont porteurs de propriétés (origines sociales, capital culturel, dispositions, etc.) grâce auxquelles ils peuvent faire illusion, aux yeux des autres et à leurs propres yeux, et continuer à tourner indéfiniment en rond dans les contradictions inhérentes à leur position de dominants (très) dominés, à la fois victimes malheureuses, souffre-douleur révoltés et complices consentants de l’exploitation qu’ils subissent.
Alain Accardo
Alain Accardo
Monday, October 1, 2012
La compétition sur le marché amoureux
Il y a une différence fondamentale entre les sociétés où le statut, la position sociale sont connus d’avance et relativement non négociables et celles ou l’identité sociale est à faire. Dans le premier cas, l’identité est inscrite dans une position sociale et la vie psychique, intérieure, est alignée sur cette identité et ce statut. On parait ce que l’on est, et on est ce que l’on parait. Or, la modernité ça veut dire une séparation entre statut social et rapport à soi, entre position sociale et identité. Ça veut dire que ce que l’on appelle “le sentiment de sa valeur” devient instable, négociable, à prouver et a acquérir. Ça veut donc dire que le sentiment d’insécurité sur sa propre valeur devient permanent, inscrit si je puis dire dans les rapports sociaux.
Deuxième élément : la transformation de l’écologie du choix amoureux fait que tout le monde est en compétition avec tout le monde. Les femmes belles sont en compétition avec les femmes intelligentes ; les catholiques avec les juives ; les cools avec les BCBG. C’est très diffèrent de la situation jusqu’au XIXème siècle, où les échantillons restent limités et régulés. La situation de compétition sur le marché amoureux est devenue très forte, peut-être encore plus forte que la compétition sur le marché du travail. Tout ça crée une incertitude sur sa valeur et un déficit de reconnaissance sociale (la reconnaissance c’est ce qui nous assure de notre valeur).
Etre dans une relation amoureuse, ça veut dire arrêter la compétition, avoir été élu, choisi parmi les autres. La relation amoureuse peut donc prodiguer ce déficit de reconnaissance qui manque de façon chronique et structurale à la plupart d’entre nous.
Eva Illouz, Pourquoi l'amour fait mal : l'experience amoureuse dans la modernité
Subscribe to:
Posts (Atom)