Je reste sur place, sur une surface d’un mètre, un mètre cinquante toute la nuit. Le seul moment où on s’arrête, c’est quand la chaîne s’arrête. On fait à peu près trente-deux opérations par pièce, par voiture, quoi. Quarante-huit pièces à l’heure, huit heures par jour. Trente-deux fois quarante-huit fois huit. Calculez. C’est le nombre de fois que je pousse le bouton. Le bruit, c’est terrible. Si vous ouvrez la bouche vous risquez de prendre plein d’étincelles dedans. (Il montre ses bras.) Ça, c’est une brûlure, tout ça, c’est des brûlures. On peut pas lutter avec le bruit. Vous gueulez et en même temps vous poussez pour amener le poste de soudure à l’endroit qu’il faut.
Les types sont pas sociables, renfermés. C’est trop dur. On s’occupe de soi. On rêve, on pense à des choses qu’on a fait. Je reviens tout le temps à quand j’étais gosse et puis ce qu’on faisait, les frangins et moi. Les choses qu’on aime, c’est à ça qu’on revient toujours.
Des tas de fois, j’ai bossé depuis le moment que je commençais jusqu’à la pause, sans me rendre compte que je bossais. Quand vous rêvez, vous diminuez les risques d’accrochage avec le contremaître ou avec le voisin.
Ça s’arrête pas. Ça continue toujours et toujours et toujours. Je parie qu’il y a des hommes qui ont passé leur vie ici et qui ont jamais vu le bout de la chaîne. Et ils le verront jamais — il y en a pas. C’est comme un serpent. Rien que le corps, pas de queue. Ça peut vous faire des trucs... (Il rit.)
C’est tellement monotone que si on pensait vraiment au boulot, à la répétition, on deviendrait dingue, tout doucement. Si vous pensez à vos problèmes, ils s’accumulent et vous pourriez sauter à la gorge du type qui est à côté de vous. Chaque fois que le contremaître passe, vous auriez quelque chose à dire. Vous tapez sur n’importe quoi, ce que vous avez sous la main. Comme ça, vous vous occupez de vous, rien que de vous tout seul, vous évitez les ennuis.
Phil Stallings, soudeur à l’arc, décrit le travail à la chaîne chez Ford Chicago au début des années 1970
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