Christine. — Quand j’ai reçu ma lettre de licenciement, je me suis dit que dans un sens, c’était pas plus mal. Je commençais à en avoir marre de l’électroménager avec l’ambiance chez Prodex qui devenait pénible et que c’était tant mieux pour les Hongrois s’ils devenaient Prodex et se mettaient à assembler à leur tour. Je te jure, quand j’ai reçu ma lettre, j’ai ressenti du soulagement.
Cathy. — Tu m’as déjà raconté la lettre.
Christine. — Après dix-huit ans d’assemblage, je pensais retrouver du travail sans difficulté. Prodex, c’est quand même pas n’importe quoi, ça dit quelque chose à tout le monde. Enfin surtout aux vieux restés fidèles à la marque depuis les années soixante parce que c’était made in France et que les appareils avaient la réputation de jamais tomber en panne, un peu comme les appareils allemands qui avaient la réputation d’être solides à l’époque. Aujourd’hui, les jeunes s’en foutent que ce soit made in France. Made in Hongrie aussi, ils s’en foutent. Ce qu’ils veulent, c’est des appareils avec des couleurs flashy et des formes tarabiscotées, c’est ça qu’ils veulent. Et que ce soit solide, ils ne voient pas non plus l’intérêt. C’est juste que ça fait vieux, l’argument de la solidité, quand on est jeune.
Cathy. — La solidité aussi, tu m’as déjà raconté.
Christine. — C’est bon pour les vieux d’avoir un appareil qui dure longtemps. Une Prodex. Une vieille Prodex qu’on branche et qui démarre au quart de tour. Dis donc, maman, tu l’as depuis combien de temps, ta cocotte ? Tu voudrais pas qu’on t’en achète une nouvelle pour ton anniversaire ? Pour tes 60 ans, tu voudrais pas d’une cocotte neuve ? Laisse, ma fille, j’en ai pas besoin d’une nouvelle, celle-là durera encore assez longtemps et tu sais pourquoi ? C’est une Prodex !
Cathy. — Voilà !
Christine. — Ça, c’est le côté renfermé des vieux que les jeunes supportent pas. Ils préfèrent acheter des appareils tous les deux ans pourvu qu’ils soient de couleur flashy, et comme ça coûte moins cher vu que c’est de moins bonne qualité tout le monde est content, surtout les Chinois puisque c’est leur marque de fabrique, les appareils de mauvaise qualité à des prix défiant toute concurrence. Mais maintenant que l’assemblage va se passer en Hongrie, ce sera sans doute moins cher et ils vont peut-être en profiter pour revoir la gamme des couleurs et des formes aussi, par la même occasion.
Cathy. — Tu voudrais pas changer de disque ?
Rémy De Vos