Thursday, December 15, 2011

Photographier

Photographier n’est pas prendre le monde pour objet, mais le faire devenir objet, exhumer son altérité enfouie sous sa prétendue réalité, le faire surgir comme attracteur étrange et fixer cette attraction étrange dans une image.

Jean Baudrillard, Car l’illusion ne s’oppose pas à la réalité…

Tanger

tanger

Wednesday, December 14, 2011

Le jugement du critique d’art

Depuis la Renaissance, c'est-à-dire depuis la fondation de l’Académie des arts du dessin par Cosme 1er, en 1563, les peintres lettrés, détenteurs d’un art libéral et non mécanique, avaient le privilège et l’exclusivité du discours sur leur art. L’Académie royale de peinture et de sculpture, fondée en 1648, en partie sur le modèle de la première, reçoit la mission de défendre et d ’illustrer l’art de peindre, de promouvoir son enseignement comme sa théorie, les Académiciens étant tenus « de faire tous les mois expliquer un des meilleurs tableaux du cabinet du roi par le professeur en exercice, en présence de l’assemblée » (instruction dictée par Colbert en janvier 1767). Ces « conférences » académiques constituent, dans la seconde moitié du XVIIe siècle le véritable creuset où s’élabore la théorie de la peinture « classique ». Seule maître en son art, l'Académie (non le critique, personnage encore inexistant) est donc supposée d'en commenter les œuvres, en s’aidant il est vrai d’un exemple, mais à la condition d’en induire des règles générales. Le commentaire du tableau, exercice très français, permettait d’éviter les considérations incertaines auxquelles les académiciens italiens, invités à disserter sur la beauté et sur la grâce, étaient davantage exposés. Il était pourtant convenu que ces considérations devaient déboucher sur une théorie, c'est-à-dire sur l’énoncé de principes généraux.
Il était en outre convenu que les académiciens, tous les deux ans d’abord, en fait de façon plutôt irrégulière, exposassent leurs œuvres publiquement, de façon à ce que chacun puisse voir l’excellence du métier de ceux que Sa Majesté avait choisis pour orner ses palais. L’exposition ayant lieu généralement dans le Salon Carré du Louvre, prend alors le nom abrégé de « Salon ». Le développement considérable de cette institution sous le règne de Louis XV, puis de Louis XVI, va jouer un rôle central, et durable, pour la formation du goût dans le domaine de la peinture. C'est alors qu'apparaît le critique, qui commente, non en expert, ni en homme de métier, mais en homme de goût, les tableaux exposés, et oriente le visiteur dans le disparate de l'accrochage. Diderot est le premier grand maître du genre. Après la révolution, qui ouvre les portes du Salon à tous les artistes académiciens ou non (décret du 21 août 1791), un jury, pour éviter l’accumulation excessive des œuvres qui se détruiraient l’une l’autre, opère une sélection parmi les peintres candidats. Le choix du jury, évidemment conservateur et attaché à l’excellence du métier plus qu’à l’originalité de l’invention, sera bien vite contesté. C’est précisément pour répondre à ces critiques que Napoléon III, en 1863, souhaitant que le public puisse juger par lui-même, autorise un « Salon des Refusés » où Manet expose son Déjeuner sur l’herbe. Par la suite le Salon dit « officiel » perdra de son importance, la création véritable s’exilant dans des ateliers privés (Manet exposera ses toiles refusées dans son atelier, qu’il ouvrira au public, et la première exposition impressionniste se tient dans l’atelier du grand photographe Nadar, ami de Baudelaire, en 1874) ou dans des galeries, qui s’imposeront rapidement comme les centres nerveux de l’art vivant, telle la galerie de Paul Durand-Ruel qui organise en 1877 une importante exposition du groupe impressionniste. C’est ainsi que l’art, d’abord sujet de conférences de la part de l’expert académicien, devient au XVIII-XIXe siècles l’objet d’une exposition publique où s’exerce le jugement du critique d’art, avant de se réfugier chez les marchands, qui en assurent la promotion.

Jacques Darriulat, Beaudelaire, Le Peintre de la vie moderne

Sunday, December 11, 2011

Le Père de la Horde sauvage

Un jour, les frères expulsés se groupèrent, abattirent et consommèrent le père et mirent ainsi un terme à la horde paternelle. Réunis, ils osèrent et accomplirent ce qui était resté impossible à l'individu. (Peut-être un progrès culturel, le maniement d'une nouvelle arme, leur avait-il donné le sentiment de leur supériorité.) Qu'ils aient ainsi consommé celui qu'ils avaient tué, cela s'entend, s'agissant de sauvages cannibales. Le père primitif violent avait été certainement le modèle envié et redouté de tout un chacun dans la troupe des frères. Dès lors ils parvenaient, dans l'acte de consommer, à l'identification avec lui, tout un chacun s'appropriant une partie de sa force. Le repas totémique, peut-être la première fête de l'humanité, serait la répétition et la cérémonie commémorative de cet acte criminel mémorable, par lequel tant de choses prirent leur commencement, les organisations sociales, les restrictions morales et la religion.

Freud Sigmund, Totem et tabou, 1913

Totem : "Le mot totem est emprunté à l'ojibwa, langue algonquine parlée sur le pourtour des Grands Lacs nord-américains..." E. Désveaux dans Dictionnaire de l'ethnologie et de l'anthropologie de Bonte et Izard.

Tabou : Il semblerait que le mot fût connu et introduit en Occident par le récit du troisième voyage de James Cook. Il l'aurait entendu à Tonga. Aujourd'hui encore à Tahiti on parle de tapu. Comme pour totem, les usages ethnologiques ont quelque peu déplacé les sens de ces mots par rapport à leurs usages dans leurs langues originelles.

Saturday, December 10, 2011

La pédanterie

Dans les cercles mondains régnait une aversion pour tout ce qui était scolaire. Le mépris de la noblesse pour le système scolaire se perpétuait. Pour de nombreux aristocrates, il était incompréhensible et probablement insupportable de voir des gens revendiquer de l’estime pour avoir « mis le nez dans certains livres ». Ils ne parvenaient pas à éprouver le moindre respect pour quelqu’un qui, ayant beau maîtriser une langue morte, s’avérait incapable d’avoir une « conversation décente ». Ils avaient deux mots pour exprimer leur dégoût : « cuistre » et « pédant ». Le premier faisait référence au savoir scolaire et à la tendance à pontifier ; le second, doté d’une signification beaucoup plus large, était le commun dénominateur de tous les savoirs qui provoquaient le dédain des courtisans. À l’origine, « pédant » signifiait seulement professeur ou instituteur. mais le mot reçut une connotation négative dans des comédies italiennes des xvie et xviie siècles. La figure du pedante y était associée à l’étalage de connaissances ainsi qu’à un mauvais usage de la langue (marqué par beaucoup de latinismes) et à un manque de compréhension du monde. Ainsi, Montaigne commence son essai intitulé Du pédantisme par un renvoi à la comedia pedantesca. Selon cet auteur, que de telles satires « despitaient en son enfance », c’étaient les hommes les plus galants qui témoignaient du plus grand mépris pour la pédanterie. Chez lui, « pédant » a encore une signification assez précise et désigne toutes les formes du savoir qui n’apportent rien à une vie meilleure et qui s’opposent à la sagesse.

Johan Heilbron, Naissance de la sociologie

Friday, December 9, 2011

L’homme sera noyé dans l’information

Il n’y aura plus que ça, la demande sera telle que… il n’y aura plus que des réponses, tous les textes seront des réponses en somme. Je crois que l’homme sera littéralement noyé dans l’information, dans une information constante. Sur son corps, sur son devenir corporel, sur sa santé, sur sa vie familiale, sur son salaire, sur son loisir. C’est pas loin du cauchemar. Il n’y aura plus personne pour lire. Ils verront de la télévision, on aura des postes partout, dans la cuisine, dans les water closets, dans les bureaux, dans les rues… Où sera-t-on ? Tandis qu’on regarde la télévision où est-on ? On n’est pas seul. On ne voyagera plus, ce ne sera plus la peine de voyager. Quand on peut faire le tour du Monde en huit jours ou quinze jours, pourquoi le faire ? Dans le voyage il y a le temps du voyage. C’est pas voir vite, c’est voir et vivre en même temps. Vivre du voyage ; ça ne sera plus possible. Tout sera bouché. Tout sera investi.
Il restera la mer quand même. Les océans. Et puis la lecture. Les gens vont redécouvrir ça. Un homme un jour il lira. Tout recommencera. On repassera par la gratuité. C’est à dire que les réponses à ce moment-là, elles seront moins écoutées. Ça commencera comme ça, par une indiscipline, un risque pris par l’homme envers lui-même. Un jour il sera seul de nouveau avec son malheur, et son bonheur, mais qui lui viendront de lui-même.

Marguerite Duras, questionnée sur l'an 2000, en 1985

Wednesday, December 7, 2011

Paris was liberated

Crowds of French patriots line the Champs Elysees to view Allied tanks and half tracks pass through the Arc du Triomphe, after Paris was liberated on August 25, 1944 (LOC)

Crowds of French patriots line the Champs Elysees to view Allied tanks and half tracks pass through the Arc du Triomphe, after Paris was liberated on August 25, 1944