Nous les humains, comme tous les animaux mobiles, dominons l’espace. Les arbres, eux, dominent le temps ; certains vivent des milliers d’années, ils sont potentiellement immortels. L’arbre n’étant pas un individu, il est divisible. Si l’on nous coupe en deux moitiés égales, c’est évidemment la mort, mais l’arbre, coupez-le en deux, cela fera deux arbres. Coupez-le en mille, vous pourrez obtenir mille d’arbres, tous parfaitement viables. En Asie, beaucoup de temples bouddhistes possèdent un figuier qui provenant d’une bouture du figuier sous lequel Bouddha atteignit l’illumination. Cela ne veut pas dire que les arbres ne meurent pas, mais que leur mort est toujours due à des agressions extérieures, les hommes, le feu, les pathogènes, le gel, la pollution. Les arbres ignorent la sénescence, alors que la durée de notre vie animale, humaine, même dans des conditions optimales, reste limitée par notre programme de vieillissement. Quand j’étais étudiant, on nous avait appris que les plus vieux arbres du monde, les Pinus longaeva californiens, avaient 5000 ans. Aujourd’hui, on sait que le houx royal de Tasmanie atteint 43 000 ans. Sa forme surprend. Ce sont des arbres de dimensions moyennes, côte à côte, et couvrant plusieurs hectares. L’analyse génétique a montré que chaque pied était né d’une même graine, germée au Pléistocène. Imaginez le livre de bord enregistré dans les cernes de ces Pinus, ou d’un séquoia de 3000 ans ! S’ils ne sont pas agressés, beaucoup d’arbres vivent très longtemps. Le jardin botanique de Kew, près de Londres, présente une collection d’arbres potentiellement immortels. Dans ce jardin, les arbres vivent isolés au milieu de vastes pelouses, loin de l’ombre de leurs congénères. Abondamment éclairées, les branches basses ne s’élaguent pas, elles traînent par terre, et s’enracinent pour donner de nouveaux arbres. En regardant bien, on constate que les jeunes refont la même chose, leurs branches s’allongent, vont se replanter et ainsi de suite. Aussi longtemps qu’aucune cause extérieure ne vient le perturber, l’arbre est parti pour durer, fixe dans l’espace, " à l’aise dans les siècles ". Au printemps, dans les pays tempérés, lorsque la température remonte, les arbres sont comme des jeunes plantules, en possession de l’intégralité de leur génome, prêts à fonctionner. Même sous l’Equateur, où leur croissance est plus erratique étant donné l’absence de saisons, les arbres développent une croissance rythmique qui les débarrasse de leurs gènes " éteints ", ou " méthylés ". Ce qui remet les compteurs de leur sénescence à zéro. Les arbres des Tropiques humides révèlent une diversité de croissance étonnante. Un même arbre peut avoir une branche aux feuilles bien vertes, une autre en fleurs, une troisième en train de mettre en place de nouvelles feuilles, et une branche " en automne " dont les fruits sont mûrs et prêts à tomber. Sous ces latitudes, en absence de saison, une plante n’a aucune raison d’arrêter sa croissance. Elle devient le " haricot géant " du conte, qui se déploie à l’infini…
Francis Hallé, Plaidoyer pour l'arbre
Francis Hallé, Plaidoyer pour l'arbre
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