Der Muselmann, le « musulman » désigne, dans l’argot des camps, l’homme-momie, le mort vivant, celui qui a cessé de lutter, qui a perdu toute conscience et toute volonté. Ce terme renvoie probablement « au sens littéral du terme arabe muslim, signifiant celui qui se soumet sans réserve à la volonté divine » (Ce qui reste d’Auschwitz, Bibliothèque Rivages, p. 53). Selon l’Encyclopedia Judaïca, il pourrait provenir « de la posture typique de ces détenus, blottis seuls, les jambes repliées à la manière "orientale", le visage rigide comme un masque. ». Pour Giorgio Agamben, le « musulman » est le nom de l’intémoignable : « Le témoin témoigne en principe pour la vérité et la justice, lesquelles donnent à ses paroles leur consistance, leur plénitude. Or le témoignage vaut ici essentiellement pour ce qui lui manque ; il porte en son cœur cet "intémoignable" qui prive les rescapés de toute autorité. Les "vrais" témoins, les "témoins intégraux", sont ceux qui n’ont pas témoigné, et n’auraient pu le faire. Ce sont ceux qui "ont touché le fond", les "musulmans", les engloutis. Les rescapés, pseudo-témoins, parlent à leur place, par délégation - témoignent d’un témoignage manquant. Mais parler de délégation n’a ici guère de sens : les engloutis n’ont rien à dire, aucune instruction ou mémoire à transmettre. Ils n’ont ni "histoire" [...], ni "visage", ni "pensée". Qui se charge de témoigner pour eux sait qu’il devra témoigner de l’impossibité de témoigner. »
Sunday, October 30, 2011
Thursday, October 27, 2011
La fête supracybernétique
L’éblouissement scatologique du sacré qui doit être la virgule pointilliste culminante de tout fête qui se respecte sera, de même que dans le passé, exprimé par le rite sacrificiel de l’archétype. De même qu’au temps de Léonard on procédait à l’éventrement du dragon des blessures duquel émergeait des fleurs de lys, aujourd’hui on devra procéder à l’éventrement des machines cybernétiques les plus perfectionnées, les plus complexes, les plus coûteuses, les plus ruineuses pour la communauté. Elles seront sacrifiées pour le seul bon plaisir et divertissement des princes, recocufiant ainsi la mission sociale de ces formidables machines qui par leur pouvoir d’information instantanées et prodigieuses n’auront servi qu’à procurer un orgasme mondain et passager et à peine intellectuel à tous ceux venus se brûler à la flamme glaciale des feux de diamants cocufieurs de la fête supracybernétique.
Salvatore Dali, Journal d’un génie, 1964
Salvatore Dali, Journal d’un génie, 1964
Wednesday, October 26, 2011
Nouveau Monde
William Carlos Williams qui remonte à Porto Rico, à l’Espagne, à Colomb, aux origines de la conquête par filiation maternelle, estime que l’Amérique n’a jamais été abordée. Il le dit dans Au Grain d’Amérique où il montre que les entreprises qui se succédèrent au Nouveau Monde furent autant d’entreprises avortées, Éric le Rouge, Christophe Colomb, l’élizabéthain Raleigh, le Mayflower ayant en commun d’être toujours restés pour ainsi dire sur le seuil. Image parfaite de cette quête incomplète : Colomb, occupé jour et nuit à déchiffrer à même la surface de l’Océan rameaux, plantes, buissons, algues, débris d’un continent, signes de terre morcelée, Colomb à qui ne sera réservée que la découverte des îles, Colomb dont le destin prend fin avec son arrivée.
William Carlos Williams, Au grain d’Amérique, 1980
William Carlos Williams, Au grain d’Amérique, 1980
Thursday, October 20, 2011
Votre imagination s’étiole
Par le parquet remonte un aboiement de paroles en accompagnement d’une chanson. Ces gens qui ont tout le temps besoin d’avoir leur télévision, leur chaîne hi-fi, leur radio qui marchent. Ces gens auxquels le silence fait tellement peur. […] Ce bon vieux George Orwell a tout compris à l’envers. Big Brother ne surveille pas. Il chante et il danse. Il sort des lapins d’un chapeau. Big Brother est tout entier occupé à attirer votre attention à chaque instant dès que vous êtes éveillés. Il fait en sorte que vous soyez toujours distraits. Il fait en sorte que vous soyez pleinement absorbés. Il fait en sorte que votre imagination s’étiole. Jusqu’à ce qu’elle vous devienne aussi utile que votre appendice. Il fait en sorte que votre attention soit toujours remplie.
Chuck Palahniuk, Berceuse, 2002
Chuck Palahniuk, Berceuse, 2002
Wednesday, October 19, 2011
Cinématographe intérieur
Nous prenons des vues quasi instantanées sur la réalité qui passe, et, comme elles sont caractéristiques de cette réalité, il nous suffit de les enfiler le long d'un devenir abstrait, uniforme, invisible, situé au fond de l'appareil de la connaissance, pour imiter ce qu'il y a de caractéristique dans ce devenir même. (...) Qu'il s'agisse de penser le devenir, ou de l'exprimer, ou même de le percevoir, nous ne faisons guère autre chose qu'actionner une espèce de cinématographe intérieur.
Henri Bergson, L'Évolution créatrice, 1907
Henri Bergson, L'Évolution créatrice, 1907
Thursday, October 6, 2011
Périssologie
PÉRISSOLOGIE
(pé-ri-sso-lo-jie) s. f.
Terme de littérature. Vice d'élocution qui est une espèce de pléonasme et consiste à ajouter à une pensée déjà suffisamment exprimée d'autres termes qui sont surabondants. Dans cette phrase : ouvrage rempli de beaucoup de beaux traits, beaucoup est une périssologie.
Du grec, superflu, et, discours.
(pé-ri-sso-lo-jie) s. f.
Terme de littérature. Vice d'élocution qui est une espèce de pléonasme et consiste à ajouter à une pensée déjà suffisamment exprimée d'autres termes qui sont surabondants. Dans cette phrase : ouvrage rempli de beaucoup de beaux traits, beaucoup est une périssologie.
Du grec, superflu, et, discours.
Thursday, September 22, 2011
Voilà toute la politique
Mais, feindre d'ignorer ce qu'on sait, de savoir tout ce qu'on ignore ; d'entendre ce qu'on ne comprend pas, de ne point ouïr ce qu'on entend ; surtout de pouvoir au-delà de ses forces ; avoir souvent pour grand secret de cacher qu'il n'y en a point ; s'enfermer pour tailler les plumes, et paraître profond, quand on n'est, comme on dit, que vide et creux ; jouer bien ou mal un personnage ; répandre des espions et pensionner des traîtres ; amollir des cachets ; intercepter des lettres ; et tâcher d'ennoblir la pauvreté des moyens par l'importance des objets : voilà toute la politique, ou je meure !
Pierre Augustin Caron de Beaumarchais, Le mariage de Figaro
Pierre Augustin Caron de Beaumarchais, Le mariage de Figaro
Le transcendant n’existe plus
L’œuvre d’art semble toujours avoir quelque chose de transcendant, mais nous savons que le transcendant n’existe plus, que Dieu est mort. Ces premières considérations, qui allaient de pair avec la gravité de la perception de la crise et la conscience de l’impossibilité d’une dimension transcendantale, fut redoublée dans la discussion avec Nancy par la perception du caractère tragique de la situation de guerre et de chaos dans laquelle nous étions désormais entrés. Non seulement Dieu était mort, mais l’ombre de son cadavre s’étendait sur nos vies, sur notre capacité expressive. Pire encore, pendant cette guerre, Dieu se présentait d’un côté comme de l’autre comme une puissance destructrice, comme la représentation du fanatisme, comme la fonction d’une série d’identités orgueilleuses et intolérantes de l’existence de l’Autre.
Antonio Negri, Art et multitude
Antonio Negri, Art et multitude
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