Tuesday, July 5, 2011

Kafka vu par Max Brod

Bien souvent les admirateurs de Kafka, qui ne le connaissent que d'après ses livres, se font de lui une image tout à fait fausse. Ils croient qu'il devait produire sur ses amis l'impression de quelqu'un de triste et même de désespéré. C'est tout le contraire. On se sentait à l'aise avec lui. Par la richesse de ses pensées exprimées d'habitude sur le mode badin, il était, pour employer un mot bien terne, l'un des hommes les plus captivants que j'aie connus, malgré sa modestie et son calme. Il parlait peu, lorsque la société était nombreuse il arrivait parfois que, des heures durant, il ne prît pas la parole. Mais sitôt qu'il disait quelque chose, le silence se faisait. Car ses paroles étaient toujours chargées de sens et elles allaient au vif du sujet. Dans les conversations intimes sa langue se déliait parfois d'une façon tout à fait étonnante ; à l'occasion, il s'abandonnait à l'enthousiasme, et alors c'étaient des plaisanteries et des rires à n'en plus finir, lui-même riait volontiers de tout son cœur et il savait amener ses amis à en faire autant. Plus encore : dans les situations délicates on pouvait s'en remettre sans hésitation à son jugement sûr, son tact, ses conseils qui portaient rarement à faux. C'était un ami qui vous venait merveilleusement en aide. Ce n'est que pour tout ce qui le concernait lui-même qu'il était embarrassé et désemparé – on n'avait cette impression que bien rarement, mais il faut dire qu'elle s'approfondit à la lecture de ses Carnets. Je me suis décidé à écrire ces souvenirs en considérant entre autres qu'à lire ses livres, et particulièrement les Carnets, on se forme de lui une image toute différente, et bien plus sombre que si on possède pour la rectifier et la compléter les impressions de qui l'a connu dans la vie quotidienne. La personne de Kafka, telle que l'image s'en est conservée dans la mémoire de ses amis, demande qu'on lui fasse place à côté de l'œuvre pour les jugements à venir.

Max Brod

La Douce

Plus on traduit, plus on se rend compte du caractère artificiel de cette occupation. Il ne s'agira jamais de faire croire que Dostoïevski, écrivant en français, aurait écrit le texte que le lecteur a sous les yeux - et cela pour une raison toute simple, c'est qu'il écrit en russe. Les mots essentiels recouvrent dans les deux langues des réalités tout à fait différentes.

Ainsi, pour le titre : La Douce. Le titre russe, Krotkaïa, ne signfie pas seulement que cette femme est douce (tendre, faible, fragile), mais aussi qu'elle est humble, modeste - justement, effacée. Elle possède cette qualité suprême pour Dostoïevski qui fait toute la force du prince Mychkine, le smirénié, un mot que le français ne peut traduire que par "humilité". Or, la langue russe ne dit pas que l'humble est, selon notre étymologie latine, humilis (abaissé jusqu'à terre), il dit qu'il possède le mir, c'est-à-dire la paix, en soi. L'homme ne s'humilie pas, il est en paix; il ne perd rien; son renoncement n'est en rien négatif, il est, au contraire, signe d'accord avec l'ordre du monde.

De même le héros parle-t-il, dans le texte français, tantôt d'orgueil, et tantôt de fierté. Dostoïevski n'emploie qu'un mot unique, gordost, qui recouvre ces deux concepts. Le russe ne distingue pas entre l'orgueil, (que notre tradition nous désigne comme un péché capital) et la fierté (que le bon sens nous indique comme une nécessité). Dostoïevski joue de l'ambiguïté car, pour la conscience de la langue, formée par des siècles et des siècles de pensée orthodoxe, toute forme de fierté est un défi à Dieu. L'homme ne peut exister que dans sa soumission, dans son effacement. La véritable liberté, selon le schéma du Chervalier avare de Pouchkine mis au jour par l'Adolescent de Dostoïevski, ne peut se découvrir que dans le renoncement à sa liberté propre.

J'ai longtemps essayer de n'employer dans ma traduction que le mot "orgueil". Il m'a semblé ensuite que c'était renoncer sans raison à une richesse du français et que, invraisemblance pour invraisemblance, perte pour perte, l'essentiel était tout d'abord d'user des ressources de la langue, quitte à en avertir le lecteur. Autant valait faire dire à Loukéria (parlant de sa maîtresse) : "elle est fière" plutôt qu'un impossible "elle a de l'orgueil". Ce "elle est fière" sert d'ailleurs de point d'appui au personnage pour énoncer sa soif de domination ("Moi, n'est-ce-pas, c'est celles que je préfère, les fières...") et apparaît aussi comme un moyen de passage entre les deux idées.

André Markowicz, La Douce

Ce sont des Staatsfanatiker

Les Français, voyez-vous cher Atzbacher, les Français aiment l’Etat, ils sont terriblement attachés à l’Etat, de l’enfance à la vieillesse ils sont attachés à l’Etat, des fanatiques de l’Etat. Ils sont élevés en serviteurs de l’Etat, même les Français qui ne sont pas fonctionnaires ne jurent que par l’Etat, ils naissent, ils grandissent, ils se marient, ils copulent, ils travaillent, ils pensent, ils meurent dans et pour l’Etat qui leur garantit leur identité et le minimum vital toujours. Comme ils ne jurent que par l’Etat, ils ne jurent que par la police. L’un ne va pas sans l’autre. Si vous êtes fanatiques de l’Etat, vous êtes fanatiques de sa police, dit Reger.

Thomas Bernhard, Maîtres anciens

Monday, July 4, 2011

Cats

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Saturday, July 2, 2011

L’Art de la Guerre

Le premier document faisant mention de techniques de manipulation, est « l’Art de la Guerre », attribué à Sun Tzu (auteur ou groupe d’auteurs) dont on ne sait rien, si ce n’est qu’il vécut quelques siècles av. J-C. en Chine, à peu près à la même époque que Confucius.
- « Tout l’art de la guerre est fondé sur la duperie » ;
- « Ceux qui sont experts dans l’art de la guerre soumettent l’armée ennemie sans combat. Ils prennent les villes sans donner l’assaut et renversent un état sans opération prolongée » ;
- « Toute campagne guerrière doit être fondée sur le faux-semblant; feignez le désordre, ne manquez jamais d’offrir un appât à l’ennemi pour le leurrer, simulez l’infériorité pour encourager son arrogance, sachez attiser son courroux pour mieux le plonger dans la confusion: sa convoitise le lancera sur vous pour s’y briser » ;
- « Lorsque l’ennemi est uni, divisez-le; et attaquez là où il n’est point préparé, en surgissant lorsqu’il ne s’y attend point. Telles sont les clefs stratégiques de la victoire, mais prenez garde de ne point les engager par avance ».

Highlighted memories

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Friday, July 1, 2011

De même que la ville

De même que la ville, façades rouges tachées de suie qui se répètent rétrécies par la perspective, comme un coffre chinois en contenant un autre plus petit, et celui-ci un autre, et celui-ci un autre, de même les êtres qui l’habitent : monotonie, vulgarité repoussante partout. Comment remplir les heures de cette existence sans fond ? Divinité à deux faces, utilitarisme, puritanisme, c’est à elle que de tels gens peuvent rendre culte, pour eux tout ce qui ne procure pas un profit tangible est un péché. L’imagination leur est aussi étrangère que l’eau pour le désert, ils sont incapables de tout acte superflu, généreux, libre, raison première de l’existence. Et là-bas, au fond de ton être, où vivent des instincts cruels, tu trouves que tu ne saurais condamner ce rêve : la destruction de cette accumulation de niches administratives.

Luis Cernuda, Ocnos

Un tour en ville

Je suis sorti faire. Bon Dieu, voilà que je remettais ça, traîner la savate dans les rues. Je regardais les gueules autour de moi, et je savais que la mienne était pareille. Des tronches vidées de leur sang, des mines pincées, soucieuses, paumées. Des tronches comme des fleurs arrachées de leurs racines et fourrées dans un joli vase ; les couleurs ne duraient pas bien longtemps. Fallait vraiment que je quitte cette ville.

John Fante, Demande à la poussière

Thursday, June 30, 2011

Peirce était un philosophe scientifique

Peirce est le fondateur du pragmatisme, souvent présenté de façon caricaturale. On lui fait dire que le vrai se réduit à l'utile, la connaissance à l'action, la réalité à ce qu'on en fait. C'est tout le contraire ! Peirce était un philosophe scientifique, un évolutionniste qui se demandait comment peuvent émerger des normes et des valeurs dans un univers soumis au hasard. Pour lui, la vérité est le but idéal de l'enquête scientifique ; la connaissance porte sur un monde réel, fait de possibles et de propriétés stables, sous forme de capacités ou de dispositions naturelles et mentales. Sa métaphysique est celle d'un logicien et d'un savant. [...] Pour Peirce, il y a des propriétés universelles réelles, thèse qu'il emprunte à Duns Scot. Cela m'a conduite à m'intéresser à la métaphysique médiévale. J'y ai découvert un type de philosophie où l'ontologie tutoyait la logique, la théorie de la connaissance et la théorie des signes. On dira : et la théologie ? Certes, elle y est, sans cesse, mais je n'ai jamais conçu la philosophie comme une "servante de la théologie", selon la formule célèbre. Les servantes, de nos jours, se rebiffent !

Claudine Tiercelin

La philosophie n'est pas une sagesse

La philosophie n'est pas une sagesse, elle ne protège et ne console de rien, et c'est fort bien ainsi. Elle ne doit surtout pas être oraculaire : un philosophe est un animal social, pas un animal grégaire, et il ne saurait servir de mouton de tête. Comme toute entreprise rationaliste dont le but est la connaissance, la philosophie se pratique sur le mode de l'enquête, non pas dans le silence du cabinet, mais dans un esprit de laboratoire, en testant ses hypothèses. Elle doit donc se tenir prête à jeter par-dessus bord toutes ses croyances, si des chocs avec le réel la forcent à en douter.

Claudine Tiercelin