Thursday, February 14, 2013

Un vrai lecteur de romans

Un vrai lecteur de romans, c'est un adulte qui lit, disons, deux ou trois heures le soir, et cela, trois ou quatre fois dans la semaine. Au bout de deux à trois semaines, il a terminé son livre. Un vrai lecteur n'est pas le genre de personne qui lit de temps en temps, par tranches d'une demi-heure, puis met son livre de côté pour y revenir huit jours plus tard sur la plage. Quand ils lisent, les vrais lecteurs ne se laissent pas distraire par autre chose. Ils mettent les enfants au lit, et ils se mettent à lire. Ils ne tombent pas dans le piège de la télévision, et ils ne s'arrêtent pas toutes les cinq minutes pour faire des achats sur le Net ou parler au téléphone. Mais c'est indiscutable, le nombre de ces gens qui prennent la lecture au sérieux baisse très rapidement. En Amérique, en tous cas, c'est certain.

Les causes de cette désaffection ne se limitent pas à la multitude de distractions de la vie d'aujourd'hui. On est obligé de reconnaître l'immense succès des écrans de toutes sortes. La lecture, sérieuse ou frivole, n'a pas l'ombre d'une chance en face des écrans : d'abord l'écran de cinéma, puis l'écran de télévision, et aujourd'hui l'écran d'ordinateur, qui prolifère : un dans la poche, un sur le bureau, un dans la main, et bientôt, on s'en fera greffer un entre les deux yeux. Pourquoi la vraie lecture n'a-t- elle aucune chance ? Parce que la gratification que reçoit l'individu qui regarde un écran est bien plus immédiate, plus palpable et terriblement prenante. Hélas, l'écran ne se contente pas d'être extraordinairement utile, il est aussi très amusant. Et que pourrions-nous trouver de mieux que de nous amuser ? La lecture sérieuse n'a jamais connu d'âge d'or en Amérique, mais personnellement, je ne me souviens pas d'avoir connu d'époque aussi lamentable pour les livres – avec la focalisation et la concentration ininterrompue que la lecture exige. Et demain, ce sera pire, et encore pire après-demain. Je peux vous prédire que dans trente ans, sinon avant, il y aura en Amérique autant de lecteurs de vraie littérature qu'il y a aujourd'hui de lecteurs de poésie en latin. C'est triste, mais le nombre de personnes qui tirent de la lecture plaisir et stimulation intellectuelle ne cesse de diminuer.

Philip Roth
, Le Monde.fr | 14.02.2013

3 comments:

  1. Je ne me contenterais pas de l'Amérique; je pense que les Français sont dans le même cas. La lecture est devenue pratiquement un loisir de vacances. Rares effectivement sont les personnes qui lisent régulièrement, ne serait-ce même que des magazines.Et pourtant, personnellement, je pense que la lecture apporte beaucoup plus que la télévision ou l'ordinateur. En effet, elle permet de réfléchir aux mots lus, de refaire sans s'en rendre compte des cours de français, de faire travailler sa mémoire et aussi et surtout, son imagination.
    Je pense aussi, hélas, que dans 30 ans (et même avant), la lecture aura perdu beaucoup de ses pouvoirs et de ses attraits. Et ce sera très grave.

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    1. Non, Hélène, les Français ne sont pas dans le même cas que celui des USA. C'est bien pire pour la France. La France se classe parmi les quatre pays dont les performances ont diminué en dix ans. En Europe, seuls l'Espagne, la Belgique francophone, la Roumanie et Malte sont moins bien classés. Selon le classement du Programme international de recherche en lecture scolaire (PIRLS), la France se situe au 29e rang sur 54 pays sondés, alors que les USA se classent au 6e rang. La situation se dégrade en France, alors qu'elle progresse aux USA. Si l'on partage le pessimisme de Roth, sur le niveau de lecture nord-américain, il faut alors l'être encore plus en ce qui concerne la France. Effectivement, toutes les statistiques font état d'une dégradation : les gens lisent moins et avec plus de difficultés qu'auparavant.
      Comme tu le dis, il est probable que cet état de faits joue sur les mentalités et que d'ici quelques années, à cause du déficit du nombre de personnes sachant correctement lire, la société française soit quelque peu transformée. Je pense que les gens seront encore plus crédules qu'ils ne le sont déjà parce qu'ils auront bien plus de difficultés à se forger un esprit critique, conséquence essentielle, à mon avis, d'une bonne pratique de la lecture. Je peux donc envisager, comme toi, que ça puisse devenir encore plus grave, parce qu'ils sera encore plus facile, pour ceux qui détiennent le pouvoir, de manipuler les populations.

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    2. Je ne parle même pas des conséquences économiques dans un monde où le PIB est directement lié aux avancées technologiques, c'est à dire aux capacités de recherches et d’innovations...

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