Alors que la matière de la photo-argentique, faite de sels d’argent et de papier, est chimique, la matière de la photo-numérique est langagière. Elle est faite de signes et de codes informatiques, d’algorithmes. Alors que dans un appareil de photo-argentique la lumière agit sur une surface chimiquement sensible, l’appareil de photo-numérique est, lui, muni de capteurs et de processeurs grâce auxquels l’action de la lumière est convertie en signes informatiques - en langage.
La photo-numérique rompt l’homogénéité de matière entre les choses et les images qui, dans la photo-argentique, était assurée par la lumière et les sels d’argent. Un contact physique a bien lieu entre les choses et le dispositif numérique de saisie, mais il ne s’accompagne plus d’un échange énergétique entre les choses et les images. La transformation ne s’opère plus de chose à chose, des choses du monde à des images-choses, mais de chose à image-langage.
On passe du monde chimique et énergétique des choses et de la lumière au monde logico-langagier des images numériques. L’ancienne continuité matérielle entre la chose et son image argentique est brisée au profit d’une conversion de la matière en langage - autrement dit, au profit d’une virtualisation. C’est donc dès l’étape de la saisie que s’opère la rupture du lien physique et énergétique, rupture qui fonde l’altérité essentielle par laquelle la photo-numérique diffère en nature de la photo-argentique.
Cette rupture du lien physique et énergétique entre les choses et les images équivaut à une rupture du régime de l’empreinte institué par la photographie au milieu du xixe siècle.
L’ère du numérique sonne la fin de l’époque bénie que Roland Barthes a décrite comme celle où « le référent adhère » aux images photographiques, où chaque scène ou chose figurée « a été » avant de venir s’inscrire et se fixer sous la forme d’une empreinte de temps et d’espace dans la matière précieuse des images d’argent. Époque bénie, donc, où les images figuraient en fixant, en isolant, en sacralisant et, en quelque sorte, en édifiant des monuments iconiques aux choses. Époque bénie, enfin, où cet appareillage (technique) et cet apparat (esthétique) de l’enregistrement par contact des apparences supportaient un puissant régime de vérité.
Dès lors que les enregistrements numériques sont langagiers, la rigidité des images se dissout dans une ductilité infinie. Alors que la retouche était un tabou de la photo-argentique, un acte de lèse-vérité, elle est devenue l’état ordinaire de la photo-numérique au travers des logiciels de traitement d’images qui sont livrés avec les appareils… En termes deleuzien : la photo-argentique fonctionne sur le mode du « moule » (une forme fixe générant une série d’occurrences identiques) tandis que la photo-numérique ressortit, elle, à la « modulation » - chaque image étant emportée dans les devenirs de ses infinies transformations et variations.
En pratique, les images numériques se caractérisent par une perte d’origine, par une dissolution du référent, par une sorte de détachement du monde. Quant aux spectateurs, ils assistent à un devenir-image du monde et à l’avènement d’un tout autre régime de vérité - l’ère numérique devenant l’ère du doute, l’envers de l’époque des illusions de vérité qui était accrochée aux photo-argentiques. Un vrai doute succède ainsi à une fausse certitude de vérité.
Si le matériau logico-langagier de la photo-numérique brise le lien matériel entre les images et les choses qu’avait noué la photo-argentique, si donc il fait vaciller l’ancien règne de l’empreinte, il est celui par lequel s’édifie l’ère numérique des sociétés d’aujourd’hui. En apparence si peu matériel, ce matériau a pourtant une matérialité, celle d’un langage, qui est assez forte pour ouvrir une nouvelle ère dans la culture et la civilisation, et, accessoirement, pour nous inciter à renoncer à la fausse et trompeuse notion de « dématérialisation » du monde. Aussi ténue tactilement soit-elle, une autre matière n’est pas une absence de matière, mais une version différente de la matière iconique.
La photo-numérique rompt l’homogénéité de matière entre les choses et les images qui, dans la photo-argentique, était assurée par la lumière et les sels d’argent. Un contact physique a bien lieu entre les choses et le dispositif numérique de saisie, mais il ne s’accompagne plus d’un échange énergétique entre les choses et les images. La transformation ne s’opère plus de chose à chose, des choses du monde à des images-choses, mais de chose à image-langage.
On passe du monde chimique et énergétique des choses et de la lumière au monde logico-langagier des images numériques. L’ancienne continuité matérielle entre la chose et son image argentique est brisée au profit d’une conversion de la matière en langage - autrement dit, au profit d’une virtualisation. C’est donc dès l’étape de la saisie que s’opère la rupture du lien physique et énergétique, rupture qui fonde l’altérité essentielle par laquelle la photo-numérique diffère en nature de la photo-argentique.
Cette rupture du lien physique et énergétique entre les choses et les images équivaut à une rupture du régime de l’empreinte institué par la photographie au milieu du xixe siècle.
L’ère du numérique sonne la fin de l’époque bénie que Roland Barthes a décrite comme celle où « le référent adhère » aux images photographiques, où chaque scène ou chose figurée « a été » avant de venir s’inscrire et se fixer sous la forme d’une empreinte de temps et d’espace dans la matière précieuse des images d’argent. Époque bénie, donc, où les images figuraient en fixant, en isolant, en sacralisant et, en quelque sorte, en édifiant des monuments iconiques aux choses. Époque bénie, enfin, où cet appareillage (technique) et cet apparat (esthétique) de l’enregistrement par contact des apparences supportaient un puissant régime de vérité.
Dès lors que les enregistrements numériques sont langagiers, la rigidité des images se dissout dans une ductilité infinie. Alors que la retouche était un tabou de la photo-argentique, un acte de lèse-vérité, elle est devenue l’état ordinaire de la photo-numérique au travers des logiciels de traitement d’images qui sont livrés avec les appareils… En termes deleuzien : la photo-argentique fonctionne sur le mode du « moule » (une forme fixe générant une série d’occurrences identiques) tandis que la photo-numérique ressortit, elle, à la « modulation » - chaque image étant emportée dans les devenirs de ses infinies transformations et variations.
En pratique, les images numériques se caractérisent par une perte d’origine, par une dissolution du référent, par une sorte de détachement du monde. Quant aux spectateurs, ils assistent à un devenir-image du monde et à l’avènement d’un tout autre régime de vérité - l’ère numérique devenant l’ère du doute, l’envers de l’époque des illusions de vérité qui était accrochée aux photo-argentiques. Un vrai doute succède ainsi à une fausse certitude de vérité.
Si le matériau logico-langagier de la photo-numérique brise le lien matériel entre les images et les choses qu’avait noué la photo-argentique, si donc il fait vaciller l’ancien règne de l’empreinte, il est celui par lequel s’édifie l’ère numérique des sociétés d’aujourd’hui. En apparence si peu matériel, ce matériau a pourtant une matérialité, celle d’un langage, qui est assez forte pour ouvrir une nouvelle ère dans la culture et la civilisation, et, accessoirement, pour nous inciter à renoncer à la fausse et trompeuse notion de « dématérialisation » du monde. Aussi ténue tactilement soit-elle, une autre matière n’est pas une absence de matière, mais une version différente de la matière iconique.
André Rouillé, Quand la photographie cesse d’en être, De l’argentique au numérique